Les femmes occupent actuellement des postes de haut niveau dans le secteur des télécommunications. Karima Mahmoudi, directrice centrale en charge de l’observatoire des communications électronique et de l’analyse de marché chez l’Instance Nationale Télécommunications (INTT) en Tunisie, a partagé son expérience personnelle dans une entrevue exclusive accordée à Telecom Review.
Pouvez-vous nous donner tout d’abord un aperçu de votre parcours professionnel ?
Je suis titulaire d’un master en finances de la faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis. J’ai commencé ma vie professionnelle en tant qu’enseignante universitaire que j’ai professée de l’année 2000 à l’année 2004. J’ai enseigné la comptabilité et la gestion financière ainsi que les techniques et la comptabilité bancaires.
En novembre 2004, j’ai intégré l’Instance Nationale des Télécommunications, en tant que gestionnaire principale. De l’année 2004 à la fin de l’année 2017, j’ai exercé les fonctions de chef service, de chef de département et de directrice. Durant ma carrière j’étais en charge de la régulation tarifaire, de la concurrence, de l’analyse de marché, de l’observatoire de marché, du code numérique… . J’étais également membre des comités en charge des dossiers de l’audit des états de synthèse, de service universel, de la portabilité de numéro, de MVNO, des offres de gros (revente, bitstream, dégroupage).
Depuis janvier 2018, j’occupe le poste de directrice centrale en charge de l’observatoire des communications électronique et de l’analyse de marché. Je suis élue vice-présidente de la commission d’étude 3 « Tariff and accounting principles and international telecommunication/ICT economic and policy issues » à l’Union Internationale des Télécommunications (UIT-T). J’ai participé à la préparation des recommandations dans le secteur de standardisation, notamment celles relatives aux Over-the-top et aux services financiers mobiles.
J’ai été nommée membre des comités nationaux de contenu lors des travaux de l’Assemblée mondiale de normalisation des télécommunications et de Colloque sur les indicateurs des télécommunications/TIC dans le monde.
J’ai été oratrice dans plusieurs évènements tel que l’ICT4all, AREGNET, fratel, EMERG, … j’ai traité des sujets en relation avec la neutralité du net, les OTT, la convergence, la transformation digitale, les nouveaux indicateurs à adopter.
A quel point est-il important d’intégrer plus de femmes dans le secteur des télécommunications ?
Tout d’abord, je dois préciser qu’en Tunisie nous n’avons pas de discrimination entre les femmes et les hommes dans la mesure où le recrutement est assuré par voie de concours ouvert à tout le monde, indépendamment du sexe.
Cependant, quelques expériences ont montré que les femmes sont généralement plus productives. Ceci dit, il est très important d’intégrer plus d’entre elles dans le secteur du TIC. D’une part, ceci favorise l’égalité entre hommes et femmes, qui est l’un des objectifs de développement durable définis par les nations unies, notamment l’ODD 5 : « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles ». D’autre part, le secteur des TIC a besoin de nouvelles compétences et le fait de recruter des femmes dans ce domaine permet d’améliorer l’efficacité et la performance des entreprises et d’avoir des économies plus solides et plus productives.
En effet, pour stimuler la croissance économique, il est important de garantir l’égalité entre hommes et femmes sur le lieu de travail.
Certaines études ont montré que les entreprises qui privilégient et encouragent la mixité de leurs personnels obtiennent de meilleurs résultats, du fait que les femmes sont connues pour être généralement plus productives.
Selon une étude datant de 2016, de Peterson Institute : “Is Gender Diversity Profitable? Evidence from a Global Survey”, les entreprises qui privilégient la mixité et savent tirer parti des compétences féminines ont 45% plus de chance d’accroître leur part de marché et 70% plus de chance de conquérir de nouveaux marchés. En outre, pour les entreprises rentables, le fait de passer d’une direction exclusivement masculine à une direction composée à 30% de femmes permet d’accroître de 15% les marges bénéficiaires nettes (Peterson Institute, 2016).
Il est à noter que la Tunisie compte parmi les premiers pays qui ont favorisé l’égalité entre homme et femme dans la société des droits sociaux, familiaux et de travail et ce à travers son code de statut personnel et celui du travail. Les femmes en Tunisie sont rémunérées au même titre que les hommes, contrairement à plusieurs autres pays dans le monde même ceux développés.
Cette égalité s’est bien reflétée dans le secteur des TIC en Tunisie qui compte 10110 emplois directs repartis en 5900 hommes et 4210 femmes qui représentent respectivement 58% et 42%, sans compter les emplois indirects. Force est de constater qu’aujourd’hui le secteur des TIC est l’un des secteurs les plus promoteurs et évolue constamment d’une année à une autre, en contribuant au PIB national.
L’instance nationale des télécommunications n’a pas dérogé à cette règle de parité et emploie aujourd’hui 37 femmes et 38 hommes, soit presque la parité parfaite. Le comité des directeurs et directeurs centraux est composé de 5 femmes et 3 hommes. Cette parité a créé un environnement propice de travail et permis à l’Instance d’être élue le premier régulateur africain et classé par GSMA pendant le MWC2018 parmi le top 3 des régulateurs dans le monde.
Faites-vous face à des défis liés au fait que vous êtes une femme travaillant dans un secteur où la majorité des postes sont occupés par des hommes ?
Je n’ai jamais rencontré d’obstacles en étant une femme qui opère dans le secteur des TIC et notamment dans le domaine de régulation, un métier qui nécessite beaucoup de compétences et du talent.
En effet, après 13 ans d’expérience au sein de l’INTT, j’ai occupé différents postes et aujourd’hui, étant chargée de la fonction de directrice centrale, je soutiens le collège de l’INTTT sur des dossiers d’une importance cruciale pour le domaine des télécommunications et je mets à sa disposition des données et des informations nécessaires à la prise de décisions.
J’étais également proposée par le président de l’instance à plusieurs reprises pour être membre dans des comités nationaux ainsi que des instances et organismes internationaux tels que l’Union internationale des télécommunications, le groupe des régulateurs arabes en charges de dossier des OTT.
Je représente l’INTTT dans des évènements nationaux et internationaux tels que le symposium des régulateurs (GSR), l’EMEG (European Mediterranean Regulators Group), l’ICT4all, WTSA (World Telecommunication Standardization Assembly), WTIS (World Telecommunication/ICT Indicators Symposium).
Quelle est l’importance d’avoir un régulateur du marché des télécommunications en Tunisie ? Quelle est la mission principale de l’Instance Nationale des Télécommunications ?
L’Instance nationale des télécommunications a été créée en 2001 suite à la libéralisation du marché des télécommunications. Sa création avait pour objectif la séparation entre la fonction de régulation et la fonction de l’exploitation de service public des télécommunications.
Eu égard des missions qui lui sont confiées, le régulateur est le garant du développement du secteur en veillant au respect des exigences de la transparence et de la concurrence saine et loyale. En outre, le régulateur, par ses décisions et les mesures qu’il entreprend, favorise un climat propice à l’investissement et l’encouragement de l’initiative privée en participant à la stimulation de la création de l’emploi.
Le régulateur facilite et accompagne l’installation des opérateurs et régule leurs activités sur les plans économiques, techniques et juridiques tout en veillant à respecter leurs équilibres financiers. Il protège par ses missions la concurrence ainsi que le consommateur.
L’article 63 du code des télécommunications stipule que l’INTTT est nomment chargée de :
- émettre un avis sur la méthode de détermination des tarifs des réseaux et des services ;
- gérer les plans nationaux relatifs à la numérotation et à l’adressage ;
- contrôler le respect des obligations résultant des dispositions législatives et réglementaires dans le domaine des télécommunications ;
- examiner les litiges relatifs à l’installation, au fonctionnement et à l’exploitation des réseaux ;
- émettre un avis sur tout sujet qui rentre dans le cadre de ses attributions et qui lui est soumis par le ministre chargé des Télécommunications.
- Déterminer la méthode de partage des coûts entre les différents services fournis par chaque opérateur de réseau.
- Fixer les méthodes de détermination des coûts pris en compte dans le calcul des tarifs d’interconnexion, du dégroupage de la boucle locale, de la colocalisation physique et de l’utilisation commune de l’infrastructure. (Tirets 6 et 7 ajoutés par la loi n°2008-1 du 15 janvier 2008).
La coopération internationale s’avère être un élément principal de la stratégie de l’INTT. Comment cette coopération se reflète-t-elle sur le secteur des télécommunications en Tunisie ?
L’Instance nationale des télécommunications entreprend des relations de coopération avec les régulateurs dans le monde et les institutions internationales en charge des TIC.
L’INTT s’inspire des meilleures pratiques internationales et des expériences réussies dans sa régulation du marché, notamment en ce qui concerne la portabilité des numéros, le service universel, l’analyse de marché.
Sa bonne gouvernance, ainsi que l’adéquation des expériences internationales au cas tunisien se sont reflétées par une évolution importante des différents indicateurs globaux du marché, notamment les CA, l’Investissement et les taux de pénétrations. En effet, le secteur des TIC en Tunisie compte aujourd’hui parmi les meilleurs du monde, notamment par rapport aux pays africains et arabes avec par exemple un taux de pénétration de l’internet mobile de 65%, qui dépasse la moyenne mondiale.
L’Instance Nationale des Télécommunications partage son expérience dans les domaines notamment de mesure de QoS (une application de mesure créée par son équipe dirigeante), portabilité des numéros, observatoire de marché, SMS stop pour les services à valeur ajoutée avec plusieurs pays désireux de connaitre l’expérience de régulateur tunisien dans ces domaines.