Partout dans le monde, la couverture fixe et mobile d’un territoire constitue la base d’un accès équitable des populations à une connexion internet haut débit de qualité. Dans les pays émergents, les gouvernements doivent faire face à un autre facteur déterminant pour la réussite de leur stratégie numérique : le pouvoir d’achat. Pourtant, divers leviers permettent d’abaisser le coût d’une connexion Internet pour rendre son accès abordable.
Si l’usage de l’internet progresse, 43% de l’humanité n’est pas connectée. Le contraste reste saisissant entre pays développés et pays émergents (95% de taux de pénétration dans le Nord de l’Europe vs 12% en Afrique centrale).
Les deux socles de l’accessibilité au haut débit
- L’extension de la couverture d’un territoire par des réseaux fixes et mobiles de qualité
En Europe, malgré les objectifs ambitieux de l’UE, des zones blanches subsistent et une fracture persiste à l’Est (pays baltes). En Afrique, les efforts des gouvernements, pour accélérer la couverture mobile, se heurtent souvent à des difficultés structurelles : outre le manque de moyens financiers des opérateurs locaux, les contraintes géographiques (grandes distances, zones montagneuses ou désertiques), ou l’absence d’infrastructures routières ou d’approvisionnement énergétique rendent les déploiements extrêmement coûteux.
- Le prix d’accès pour l’utilisateur final
Pour évaluer le caractère abordable du prix d’une connexion haut-débit pour une population, l’Alliance pour un Internet abordable (A4AI) définit un indicateur (indice d’accessibilité financière) auquel les opérateurs et gouvernements pourraient se référer davantage. Elle estime que le coût de l’accès à 1 Go de données doit être inférieur à 2% du revenu moyen (PIB par habitant). Parmi les 99 pays en développement inclus dans son étude sur les coûts de l’internet mobile en 2018, seuls 10 se situent sous ce seuil. Les contrastes sont forts: l’indice du Sri Lanka est de 0,24% ; celui de la République Démocratique du Congo de 33,5%
Pour des prix bas : des leviers financiers, techniques, et réglementaires
Divers leviers peuvent être actionnés pour installer un cercle vertueux favorable à l’émergence d’un écosystème du numérique efficient, et donc de prix bas. Ils concernent la rentabilité des infrastructures, la localisation des contenus, la régulation du marché de gros et de l’accès, le niveau de concurrence et le prix des terminaux.
S’appuyer sur les financements des bailleurs de fonds internationaux
De nombreux donneurs d’ordre internationaux visent la réduction de la brèche technologique.
En Europe, l’UE finance dans les pays baltes des réseaux d’initiative publique (RIP) qui ont vocation à couvrir les zones blanches sans objectif de rentabilité.
En Afrique, dans plusieurs pays, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, la Banque Européenne d’Investissement et un certain nombre d’agences nationales de développement financent, par dons et prêts, la construction de backbones nationaux, accessibles à tous les opérateurs et gérés soit dans le cadre d’un partenariat public-privé, soit par un consortium d’opérateurs, soit par une société de gestion de patrimoine. Au-delà du financement initial, ces organisations permettent également d’assurer maintenance des biens dans durée et gestion rentable.
Séparer opérateur d’infrastructure et opérateurs de services
Il existe plusieurs modèles de séparation, qui visent tous à rendre une ressource coûteuse (l’infrastructure) accessible aux différents opérateurs de services dans des conditions de transparence et prix définis par les coûts.
Cette séparation structurelle permet aux opérateurs de services de ne pas dupliquer des investissements en infrastructures (plusieurs réseaux dans une même ville) tout en assurant une couverture extensive du territoire. Les économies d’échelle réalisées, tant sur le déploiement que sur l’exploitation, bénéficient au secteur tout entier.
Héberger localement les contenus
L’installation de points d’échange internet (IXP) et de mini-data centers (CDN ) sur le backbone permet d’héberger localement des copies de contenus lourds ou fréquemment recherchés par les internautes (ex. vidéos YouTube). En limitant l’accroissement des besoins en capacité internationale et en réduisant les coûts de transport des données, elle génère des économies répercutables sur les prix d’accès.
Rendre accessible le prix d’attribution des fréquences
Trop souvent les gouvernements, soucieux de créer des apports de devises à court terme, exigent des tarifs trop élevés pour les licences alors que l’intérêt du pays serait de bénéficier rapidement de la technologie la plus performante. Les opérateurs, en quête de rentabilité, renâclent ensuite à déployer de manière extensive. Certains gouvernements semblent avoir appris des erreurs passées : en France, le prix de réserve exigé pour les licences 5G sera raisonnable en échange d’exigences supplémentaires de couverture et de services « verticaux ».
Réguler les prix du marché de gros
La régulation des prix sur le marché de gros constitue une des solutions les plus efficaces pour éviter l’intégration verticale de l’opérateur détenteur des infrastructures. C’est d’ailleurs l’axe majeur de la réorganisation de la régulation européenne qui a maintenu la régulation du marché de gros alors que le marché de détail est presque complètement libéralisé.
Moduler la concurrence au sein d’un même pays
Quand la densité de couverture est inégale, ou lorsqu’il existe d’importants écarts de revenus selon les zones géographiques d’un même pays, la « modulation » du niveau de concurrence apparaît comme une solution efficace. Le modèle adopté par le Portugal est très intéressant : le régulateur portugais a modulé les obligations des opérateurs en fonction du niveau concurrentiel des 3 marchés qu’il a définis dans le pays. Dans les grandes villes, l’opérateur historique a été obligé d’ouvrir ses infrastructures alors qu’il n’a pas été tenu de le faire systématiquement dans les petites villes ; dans les zones de service public, un opérateur unique bénéficie d’un monopole de zone, limité au temps estimé nécessaire à l’obtention d’un ROI.
Développer le reconditionnement local des terminaux mobiles
Le prix des terminaux mobiles permettant l’accès aux services de données reste un frein majeur dans les pays à très faibles revenus. La mise en place d’usines de reconditionnement vise à réduire ce frein, tout en bénéficiant à l’emploi local. Ainsi, le reconditionnement est déjà largement développé dans les pays du Maghreb. La Mauritanie et le Niger ont aussi intégré, dans leurs stratégies numériques, des projets d’implémentation de petits centres de reconditionnement.
S’il est impossible d’apporter une réponse universelle à la question de l’accessibilité à internet, divers leviers permettent de réduire le prix de la connectivité. A chaque gouvernement d’adapter sa stratégie en fonction des caractéristiques physiques du pays et du pouvoir d’achat de la population. Les politiques doivent être envisagées à moyen terme, un plan de développement du haut débit ne donnant des résultats concrets qu’au bout de 5 à 7 ans.
Ce qui est certain c’est que chaque nouvelle technologie réinterroge le sujet. Le déploiement de la 5G demandera des investissements technologiques massifs. Même s’ils seront très sollicités, les investissements privés n’iront pas partout. Pour éviter d’accentuer la fracture numérique mondiale, la coordination entre acteurs privés et acteurs publics sera plus que jamais d’actualité.
Rédigé par Maria Gabriela Macra, Consultante Senior Manager en Règlementation, Sofrecom